Religion et développement : « les Quakers sont à l’origine, (…) du capitalisme industriel américain », (Dr Worondjilè Hien)

Dans cette interview, nous abordons l’intégration des religions dans le processus de développement, notamment, le rôle des religions dans les dynamiques de développement socio-économiques et culturelles du Burkina avec le Dr Worondjilè Hien, historien spécialisé en histoire des religions.

Propos recueillis par Jean Marc Kambou, collaborateur

Refletinfo.net : Quels rôles jouent les religions dans les dynamiques de développement socio-économiques et culturelles au Burkina ? 

Dr Worondjilè Hien : Disons simplement que dans le contexte sociologique africain, les religions, notamment les religions traditionnelles africaines sont au cœur des projets de société en tant qu’un facteur de développement.

Mais beaucoup d’investissements humains et économiques visent la religion comme un objectif à atteindre. En Afrique, même parfois avec les religions du livre (islam et christianisme), le bonheur n’est complet que s’il accorde une reconnaissance aux dieux et réserve le temps et les moyens nécessaires aux hommes pour entretenir la communion avec eux.

Ainsi, pour les croyants en Afrique et au Burkina, le vrai développement ne saura frustrer la puissance divine et les ancêtres ou se mettre en travers des dogmes religieux établis.

Refletinfo.net : Pour le cas africain, d’aucuns parlent des religions qui constituent un frein au développement. Êtes-vous de cet avis ?

Dr Worondjilè Hien : Pour moi, le débat sur la contribution des religions au développement de l’Afrique reste, jusqu’à preuve de contraire, un débat creux. La problématique est mal posée !

Dire qu’elles sont un frein au développement, est-ce pour dire que la propension des dogmes religieux fait barrière aux dispositions mentales et psychologiques des adeptes africains et fait d’eux des passifs du développement ou pour affirmer que celles-ci et leurs leaders sont responsables de l’inefficacité des politiques ou des programmes de développement élaborés par les gouvernements ?

Tant que ces précisions ne seront pas effectuées, chaque spéculateur du développement peut prétendre trouver des pistes au développement des Africains en indexant sans démonstration les religions.

Certains la voient comme une restriction de la liberté de choix et d’action. Oui, peut-être dans les États où existent les religions d’Etat. En Afrique au Sud du Sahara où la liberté de croyance est totale, chaque fidèle religieux choisit sa religion et accepte volontiers les conditions qui s’imposent à lui.

De là, il reste le garant de sa liberté religieuse. D’ailleurs, il dispose pleinement le droit de changer de religion pour mener son action lorsqu’il est contraint par quelque dogme religieux.

En plus, quand on considère la définition du développement comme synonyme d’amélioration des conditions de vie ou tout simplement comme progrès, il est évident que la religion ne s’y oppose que lorsque le progrès réalisé menace l’équilibre humanitaire et la stabilité sociale; l’opposition de certaines communautés extrémistes à l’éducation par l’école ou à des catégories de soins médicaux ne doit pas être généralisée et attribuées aux religions.

Refletinfo.net : Pour se développer, faut-il se déconnecter de la religion ?

Dr Worondjilè Hien : La religion est omniprésente dans la vie de tous les humains. En effet, chaque individu entretient personnellement ou collectivement des croyances.

Les actions au quotidien sont posées en fonction de la lecture que chaque personne fait de ces croyances : soit on est croyant d’une force spirituelle et on adopte un comportement qui intègre la réalité qu’on s’est construite soit on est athée avec également des attitudes inhérentes.

Cependant, l’athée est athée en fonction d’une croyance. Donc l’athéisme est la religion de l’athée. Au regard de la complexité de la religion et sa place fondamentale dans la vie individuelle ainsi que communautaire, il est impossible de rechercher le développement en se déconnectant de la religion.

Il est vrai que la religion en tant que force moralisatrice limite certaines recherches scientifiques, toutefois ce ne sont pas les recherches fondamentales à la vie de l’homme et à la réalisation d’un niveau de vie satisfaisant. Pour les religieux, d’ailleurs, la religion est une recherche avec l’aide des dieux des meilleures voies pour atteindre le bonheur, c’est la quête de développement.

D’aucuns la considèrent comme la morphine qui engendre l’inaction, le manque d’initiative ; bref, elle rend passifs les croyants qui vivent dans l’attentisme en attendant le secours des dieux.

Ce discours contredit la réalité : les Quakers sont à l’origine, en grande partie, du capitalisme industriel américain. Ne disaient-ils pas que l’oisiveté est un péché et la prospérité est le signe de la proximité de Dieu ?

Les pays extrêmement religieux comme le Japon ont su concilier les croyances et la modernité. Le problème africain de développement réside ailleurs et non dans ses croyances religieuses en première instance. On peut conclure que la religion est loin d’être un danger pour le bien être de l’humanité.

Refletinfo.net : L’Afrique végète dans son développement, parce qu’elle ignore sa religion aux profits des autres. Le pensez-vous ?

Dr Worondjilè Hien : Qu’elle doit être la religion de l’Afrique ? Quelles sont les autres qui ne sont pas africaines ? D’une région à une autre, d’un Etat à un autre on ne pourra jamais avoir les mêmes réponses.

 Du point de vue historique, les religions traditionnelles africaines ont la primauté dans la majorité des États noirs. En Afrique du Nord, l’islam s’y est répandu moins de deux décennies après son apparition en Arabie.

 Le christianisme n’était pas encore bien implanté en Judée [Israël] où il était né qu’il était déjà pratiqué en Éthiopie, si on se réfère à la Bible. Ne peut-on pas, à partir de là, affirmer que les deux religions universalistes sont revêtues d’une certaine africanité ?

L’inquiétude que soulève votre question mérite un examen afin d’identifier les déterminants pour les régions de l’Afrique où l’introduction des deux religions est récente, au cours de la période contemporaine (à la veille ou durant la colonisation).

Mais, allons plus loin : y a-t-il combien de chrétiens au Burkina Faso ? Combien sont les musulmans (qui sont majoritaires) qui ne consultent ni ne respectent les traditions africaines en vigueur dans leurs communautés de ressort ?

Mais, les Burkinabè vivent-ils réellement le développement concret ? Au Benin où le Vodou fait autorité, est-il le facteur d’un développement réel, d’une espérance de vie élevée, d’une morbidité faible et d’une autosuffisance alimentaire reconnue ?

La perception de trouver que la domination des religions dites importées est à l’origine du sous-développement renforce par ailleurs l’idée que les religions africaines sont une barrière au développement dans les localités où elles sont majoritaires et qui vivent l’extrême pauvreté (l’exemple du Sud-Ouest du Burkina Faso avant l’explosion des sites d’orpaillage traditionnel).

Refletinfo.net : L’animisme, « la religion africaine » est assimilée à l’échec, au malheur, à l’obscurantisme, au diable etc. pendant que, les autres religions tels que le christianisme, l’islam, etc. sont associées à la lumière, aux succès, au bonheur etc. Quelle doit être la bonne lecture ?

Dr Worondjilè Hien : D’abord, une remarque : l’expression consacrée depuis 1970 est les Religions Traditionnelles Africaines (RTA) ou les Religions Africaines. La discrimination dont ont soufferte les RTA est un héritage du prosélytisme chrétien et de l’islam rigoriste avec la bénédiction du discours colonialiste de civilisation.

En effet, selon particulièrement le christianisme, toute autre forme de croyance qui ne reconnait pas l’autorité de Jésus-Christ et sa seigneurie est systématiquement une hérésie, une entreprise du diable pour contrer les bons plans de Dieu pour l’humanité.

C’est suivant cette logique chrétienne mise en œuvre par les chrétiens, contrairement à la majorité des musulmans qui dénonces les croyances africaines mais s’accoquinent des dogmes dans la vie pratique, et aidée par le discours de la modernité fondée sur les valeurs judéo-chrétiennes que les RTA sont contestées comme une force rébarbative.

Toutefois, il faut admettre que le rejet de l’autre est un principe fondateur et de survie pour toutes les religions. C’est le principe d’existence même de toutes les religions. Indépendamment de toute subjectivité, l’histoire du fait religieux témoigne que la survie de chaque confession religieuse reposait sur le discrédit et le déclin des autres.

Le fait du rejet n’est pas propre aux religions du livre vis-à-vis des RTA. Les croyances qui fondent ces dernières ne sont pas béatement avenantes envers le christianisme et l’islam. La multiplication des églises syncrétiques au sein des confessions protestantes sont des preuves que toutes les religions ne s’acceptent pas au-delà de la tolérance pour une éventuelle fusion des principes de lecture du monde.

Accepter que les religions africaines sont disponibles et ouvertes à toutes les nouveautés extérieures, notamment au prosélytisme à outrance du christianisme revient à rejeter, selon Jacques Richard-Molard, le fait que les Africains, premiers adeptes de leurs religions, « ne sont pas des « primitifs » dépouillés de tout ; prêts à s’ouvrir comme le font les enfants à toute nouveauté ; ils opposent au contraire leur conception du sens de la vie, leur sagesse (…) leurs traditions et cela du reste, avec grande force de résistance ». Autrement dit les RTA se considèrent la vraie religion et les autres fausses.

Alors, à mon avis, ces critiques à l’encontre des RTA, qu’elles soient vigoureuses, n’entament en rien leur validité auprès de leurs adeptes, si ceux-ci restent convaincus de leur foi. Les critiques deviennent dangereuses lorsqu’elles font l’objet de récupération politique ou d’instruments intellectuels d’appréciation de l’Africain et tout son savoir faire.

Refletinfo.net : Finalement, quelle est la religion africaine ?

Dr Worondjilè Hien : Il n’y a pas de religion africaine ! La foi, c’est l’acte le plus fondamental de liberté que manifeste chaque humain. Et si les autorités et intellectuels africains s’acharnent à définir une religion africaine, c’est une politique insidieuse et officieuse d’exclusion systématique de tous les citoyens qui n’adhéreront pas à cette religion.

D’aucuns diront que les religions traditionnelles africaines doivent être considérées comme la religion africaine, à cause de leur autochtonie par rapport aux autres. Mais comme je l’ai déjà dit, les religions du livre sont pratiquées par des Africains, et par l’acte de la pratique celles-ci sont africaines également. Encore, le christianisme et l’islam pratiqués en Afrique ont actuellement des spécificités qui font parler du christianisme africain ou de l’islam africain.

Les messes ou les cultes d’adoration de dimanches ont leurs marques de louanges, de danses et de contenus socioaffectifs qui traduisent parfaitement la part africaine du christianisme, le christianisme africain. Dans l’islam, le maraboutage bien développé n’a pas une origine africaine.

Mais les schèmes de sa pratique par les musulmans africains identifient clairement ce qu’on peut appeler le maraboutage africain et par ricochet un islam africain. Le marabout africain a contextualisé le processus de consultation par rapport aux méthodes divinatoires traditionnelles africaines si bien que le marabout africain est bien différent du marabout saoudien ou indonésien.

Partant de ces quelques éléments, à mon avis, les Africains de toutes les classes et de toutes les couches doivent revendiquer l’africanisation du christianisme et de l’islam, c’est-à-dire leur inculturation ou leur appropriation sur le fondement culturel de type africain. Sinon partir du fait que ces croyances sont importées en Afrique et les exclure de la religion africaine, les tenants tombent dans un piège dont les inconvénients seront multiples.

C’est en partant, partiellement, du fait que les sciences modernes ne sont pas nées sur les terres africaines que Nicolas Sarkozy, le président français, a déclaré en 2007 dans son fameux discours de Dakar que l’Afrique noire n’est pas encore entrée dans l’histoire. Tous les Africains avaient été choqués, et avec juste raison, par ses propos moralement et historiquement mensongers.

Et moi je dis si certains Africains sont près à reconnaitre les Religions traditionnelles africaines comme la religion africaine, à cause de leur autochtonie et à en exclure les autres, sont-ils près à accepter que les sciences aéronautiques, certaines sciences médicales, l’informatique, etc. ne peuvent être africaines parce qu’elles ne sont pas nées et ne se sont pas développées en Afrique Noire ?

D’ailleurs, les Africaines se réjouissent des grands savants, des grands ingénieurs africains qui ont fait prospérer les sciences exactes et les laboratoires de hautes technologies dans les pays occidentaux, comme le malien, Cheick Modibo DIARRA, qui reste un des pères fondateurs des performances actuelles de la NASA.

En dépit du fait que ces prouesses scientifiques ne sont pas réalisées originellement en terres africaines, les Africains ne refusent pas qu’elles soient africaines car de savants africains y ont contribué, pourquoi d’autres Africains ne voudront-ils pas que les religions du livre pratiquées par des millions de concitoyens Africains depuis des siècles soient partie intégrante de la religion africaine ? De ma modeste opinion, toutes sont des religions africaines, il n’y a pas de religion africaine!

Nous, nous voulons une religion africaine par un débat d’idées, c’est merveilleux et enrichissant. Mais quand certains se basant sur nos idées intellectuelles voudront un jour par les armes une religion africaine, ce ne serait plus merveilleux. Et notre débat d’idées se doit de prévenir cela !!

Les exemples sont multiples à travers les États d’Asie qui ont adopté des religions d’Etat et qui persécutent les minorités religieuses.

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Un commentaire sur « Religion et développement : « les Quakers sont à l’origine, (…) du capitalisme industriel américain », (Dr Worondjilè Hien) »

  1. Je félicite Dr HIEN qui a fait une belle lecture de la religion et du développement. Cependant, je reste sur ma soif lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de religion africaine. Quand on définit la religion comme une croyance, je me permets de dire que l’Afrique avait sa religion avant l’avènement des religions du livre. Les Africains avaient leurs méthodes de croyance par lesquelles ils font la déférence au Dieu suprême à travers le culte des ancêtres etc… En termes d’exemple on peut citer le vodou au Bénin, le bwiti au Gabon….

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