Les défis quotidiens de la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées à Bobo-Dioulasso

Les obstacles à la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, ont fait l’objet d’un regard scientifique. Dr Maïmouna Sanou, s’est intéressée à la problématique en produisant un article scientifique qui a été publié en 2022, dans La revue de gériatrie. Dans sa recherche, Dr Sanou est parvenue aux résultats que, l’un des principaux freins réside dans l’insuffisance de la qualité des soins médicaux et familiaux, souvent aggravée par des comportements d’inobservance de la part des personnes âgées elles-mêmes. Découvrez la synthèse de sa recherche dans cet article de vulgarisation.

Le chapô est du journal. Source de l’image: Organisation médicale et humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF)

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BERTHE-SANOU Lalla1, SANOU Maïmouna², TENGUERI Yacouba3, BERTHE Abdramane3, KONATE Blahima2, MILLOGO Athanase4.5, BADINI-KINDA Fatoumata4, DRABO K Maxime 6

1 Centre MURAZ/Institut de Santé Publique (INSP), Bobo-Dioulasso, Burkina Faso

2 Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)/ Institut des Sciences des Sociétés (INSS)

3 Université Daniel Ouezzin Coulibaly, Dédougou, Burkina Faso

4 Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, Burkina Faso

5 Centre hospitalier universitaire Sourô Sanou, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso.

6 Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)/Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS)

Auteur correspondant : SANOU Maïmouna, smmarieh@yahoo.fr

Cet article de vulgarisation est extrait de mon article scientifique « Obstacles à la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) : une analyse en groupe focalisée sur les soins sociaux/familiaux », publié dans La revue de gériatrie, 2022, 47(6), 271-279. Il s’interesse à l’analyse des obstacles à la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées. L’enquête qui sert de base à cette analyse à réuni l’ensemble des parties prenantes – professionnels de santé, agents des services de l’action sociale, personnes âgées et proches – afin d’identifier ensemble les obstacles à une prise en charge optimale des maladies chroniques à Bobo-Dioulasso. Pour ce faire, nous avons utilisé la méthode d’analyse en groupe, qui a permis à chacun d’examiner et de remettre en question ses pratiques. Les résultats montrent que l’un des principaux freins réside dans l’insuffisance de la qualité des soins médicaux et familiaux, souvent aggravée par des comportements d’inobservance de la part des personnes âgées elles-mêmes. L’étude relève également des insuffisances dans la qualité des soins biomédicaux et une collaboration limitée entre les différents services de prise en charge. Cette approche participative a ainsi permis de mieux comprendre les défis actuels et de proposer des pistes pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées.

Introduction

Au Burkina Faso, le vieillissement de la population soulève de nombreux défis, particulièrement en matière de prise en charge des maladies chroniques. Le système de santé principalement axé sur le traitement des pathologies aiguës, ne parvient pas à assurer une coordination efficace entre les services médicaux et le recours aux ressources extérieures pour soutenir les patients chroniques demeure insuffisant. Par ailleurs, les activités d’information et d’éducation destinées aux patients sont souvent inadaptées, favorisant l’utilisation de médicaments inappropriés. Les protocoles et normes de prise en charge des maladies chroniques, bien qu’existants, sont rarement appliqués (Hien et al., 2014).

Face à ces constats, les recherches ont été généralement centrées sur le point de vue des chercheurs, sans intégrer simultanément les points de vue de l’ensemble des acteurs impliqués dans le système de soins. L’étude à la base de cette réflexion rompt avec cette approche en réunissant, au moyen de l’analyse en groupe, des professionnels de santé, des agents des services sociaux, des communautaires, des patients (personnes âgées) et leurs proches. Cette démarche participative permet de mieux comprendre les défis liés à la gestion des situations complexes et d’identifier les obstacles qui entravent une prise en charge optimale des maladies chroniques. L’objectif de cet article est ainsi de diffuser les principaux résultats de cette étude, en mettant en exergue les obstacles identifiés et en proposant des pistes pour améliorer la coordination des soins et la communication entre tous les acteurs impliqués.

Une approche innovante pour mieux comprendre ces enjeux et proposer des solutions

Pour appréhender au mieux ces enjeux, nous avons utilisé la méthode d’analyse en groupe (MAG). Il s’agit d’une méthode qualitative particulièrement participative qui a déjà fait ses preuves dans divers contextes européens et africains (Franssen, Van Campenhoudt, et Degraef, 2014; Mercier et De Muelenaere, 2007; Van Campenhoudt, Chaumont, et Franssen, 2005). Au Burkina Faso, cette méthode a été utilisée à plusieurs reprises pour analyser et gérer des phénomènes sociaux en impliquant directement les acteurs stratégiques, coproducteurs du phénomène étudié (Konaté et al., 2018; Konaté et al., 2019). La particularité de la méthode d’analyse en groupe réside dans sa capacité à réunir l’ensemble des acteurs concernés par le sujet afin de discuter ensemble de leurs expériences. L’analyse en groupe a réuni des personnes âgées, des aidants familiaux, des professionnels de la santé, des acteurs de l’action sociale et des leaders des associations intervenant en faveur des personnes âgées. À partir de situations concrètes vécues par les personnes âgées, les participants ont pu identifier les problèmes récurrents et proposer des solutions adaptées. Contrairement aux méthodes d’entretiens classique où les participants sont de simples sources d’information, cette approche permet aux acteurs eux-mêmes d’analyser directement les problèmes qui les concernent, avec l’appui de l’équipe de recherche (Franssen, et al., 2014).

Des obstacles multiples, tant au niveau familial que médical

La qualité des soins, qu’ils soient médicaux ou fournis par la famille, constitue l’un des obstacles majeurs à la prise en charge des patients âgés. Autrefois, l’entraide entre proches permettait à ces dernières de conserver leur autonomie malgré la maladie. Aujourd’hui, avec l’évolution des modes de vie, notamment en milieu urbain, et la réduction des réseaux traditionnels, l’aide quotidienne – financière, matérielle, ou affective – s’avère insuffisante. Prenons l’exemple Mamadou (nom d’emprunt), un retraité de 67 ans souffrant de diabète avec d’intoxication liée au tabac et à l’alcool. Sa prise en charge se heurte à plusieurs obstacles :

  • Une réduction significative de revenus après la retraite: « Le problème c’est en fait quelqu’un qui est à la retraite, à la retraite c’est pour dire que son revenu à diminuer. Ça c’est d’abord un problème pour celui qui n’a pas pu préparer sa retraite » (Agent action sociale, Bobo-Dioulasso).
  • Un soutien familial limité, notamment du côté de son épouse: « Quand on vieillit, on a besoin de plus d’affection et d’une attention particulière de la part de son entourage. Si cette affection manque, la PA se porte mal, les médicaments ne peuvent pas alors la guérir. C’est ce qui a manqué chez notre retraité, la famille l’a abandonné, c’est pourquoi il meurt petit à petit » (Personne âgée, agent communautaire, Bobo-Dioulasso)
  • Un manque de coordination entre les différents services médicaux intervenant dans sa prise en charge: « La prise en charge multidisciplinaire des patients, ce n’est pas chose donnée aujourd’hui dans nos services de santé. Chaque spécialiste fait ce qu’il a à faire et il fait un papier disant “Va voir ce spécialiste”. Donc ce monsieur a manqué de prise en charge multidisciplinaire, dont les psychologues, parce qu’on ne peut pas amputer quelqu’un sans vraiment assurer sa prise en charge psychologique » (Agent de santé, Bobo-Dioulasso).

A cela s’ajoute le comportement de Mamadou, qui ne respecte pas les consignes (arrêt de la cigarette et de l’alcool) des professionnels de santé, contribuant à la dégradation progressive de son état. Ce cumul de facteurs a conduit à plusieurs complications graves, notamment à deux amputations successives, l’une en mars 2016 et l’autre en juin 2016.

Les analyses en groupe ont également montré que la baisse des revenus après la retraite, le manque de couverture sanitaire et la faible coordination entre les services médicaux et sociaux compliquent la prise en charge des maladies chroniques. Les familles, qui restent souvent le principal soutien pour ces personnes âgées, se retrouvent débordées face à la complexité des soins à prodiguer sur le long terme (Berthé-Sanou et al., 2022). De plus, le système de santé au Burkina Faso est principalement orienté vers le traitement des urgences et des affections prédominantes (Hien, et al., 2014). En effet, il est structuré de sorte à répondre rapidement aux problèmes immédiats, au détriment d’une prise en charge globale et qui s’inscrit dans la durée, indispensable pour les maladies chroniques. Ce cloisonnement, où chaque spécialiste intervient de manière isolée, entrave la mise en place d’un suivi continu et coordonné pour les personnes âgées.

« Nos services de santé sont faits pour la prise en charge des urgences et cela n’a pas vraiment contribué à prendre en charge les soins du patient qui étaient vraiment des soins de longue durée. Nos services se sont contentés de traiter spontanément son mal, de l’amputer, de lui donner sa prothèse, mais maintenant, la suite a manqué. Ce qui a contribué à enfoncer ce patient dans la souffrance, à dégrader son état » (Agent de santé, femme, Bobo-Dioulasso).

Vers une amélioration de la prise en charge

Les résultats de cette étude soulignent l’urgence d’une approche plus intégrée et collaborative dans la prise en charge des maladies chroniques. Il apparaît essentiel de réorganiser le système de soins en renforçant la coordination entre les acteurs du secteur médical, les services sociaux et les familles afin d’établir un réseau de soutien plus cohérent et continu, capable de répondre aux besoins complexes des personnes âgées atteintes de maladies chroniques. En adoptant une approche globale et en impliquant activement les familles dans le suivi des patients, il serait possible d’améliorer significativement la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées.

Conclusion

La prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées à Bobo-Dioulasso ne dépend pas uniquement de l’efficacité des traitements médicaux, mais aussi de la qualité de l’accompagnement social et familial. Une meilleure coordination entre tous les acteurs impliqués apparaît comme une voie prometteuse pour offrir aux personnes âgées la sécurité et l’assistance dont elles ont besoin. Cette approche participative permet de remettre en question les pratiques actuelles et d’envisager des solutions innovantes pour relever les défis du vieillissement dans le contexte burkinabè.

Références bibliographiques

Berthé-Sanou, L., Sanou, M., Tengueri, Y., Berthé, A., Konaté, B., Millogo, A., Badini-Kinda, F. et Drabo, M. (2022). Obstacles à la prise en charge des maladies chroniques chez les personnes âgées à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) : une analyse en groupe focalisée sur les soins sociaux/familiaux (2022) La revue de gériatrie, 47(6), 271-279.

Franssen, A., Van Campenhoudt, L. et Degraef, V. (2014). La méthode d’analyse en groupe: coproduction, restitution et répercussion des savoirs. SociologieS.

Hien, H., Drabo, K. M., Toé, N., Berthé, A., Konaté, B., Tou, F., Badini-Kinda, F., Meda, N., Ouédraogo, M. et Macq, J. (2014). Qualité de la prise en charge des malades chroniques au Burkina Faso selon le Chronic Care Model. Santé Publique, 26(5), 705-713. Retrieved from

Konaté, B., Berthé, A., Hien, H. M., Kiénou, J., Ouango, J. et Franssen, A. (2018). Représentations sociales et attitudes vis-à-vis de la démence au Burkina Faso. NPG Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie, 18(104), 119-126.

Konaté, B., Berthé, A., Hien, H. M., Tou, F., Drabo, M. K. et Franssen, A. (2019). Une application de la méthode d’analyse en groupe en contexte urbain burkinabé. Bulletin of Sociological Methodology/Bulletin de Méthodologie Sociologique, 141(1), 46-63.

Mercier, M. et De Muelenaere, A. (2007). La méthode d’analyse en groupe: application à la problématique de la mise à l’emploi des personnes fragilisées. Recherches qualitatives, 3, 140-155.

Van Campenhoudt, L., Chaumont, J.-M. et Franssen, A. (2005). La méthode d’analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux. Paris: Dunod.

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