« Le Pape est devenu une sorte de législateur, une force de légitimation des grands changements moraux et culturels », déclare le Dr Worondjilè Hien, enseignant-chercheur spécialisé en histoire des religions. Il décrypte l’actualité au Vatican, dominée par l’élection d’un nouveau Pape.
Par Jean Marc Kambou, collaborateur
Refletinfo.net: Le Souverain pontife s’est éteint au lendemain de la fête de pâques à Rome. Que retenez-vous de ses décisions majeures ?
Dr Worondjilè Hien: Avant tout j’ai une pensée pour la grande famille catholique et la famille biologique du défunt pape François, de son vrai nom Jorge Mario Bergoglio. Que Dieu console les cœurs de tous ceux qui ont été affectés par sa disparation.
Le pape François, comme Jean Paul II, était sur tous les fronts des batailles que mène le monde. Il a donné son point de vue et proposé ses solutions aux graves et complexes conflits politico-militaires, notamment le foyer permanemment incandescent du Moyen-Orient, contre l’extrême pauvreté et la famine qui frappent les pays les plus pauvre et les régions en guerre. À ces sujets, on doit reconnaitre ses efforts moraux.
Sur le plan moral et religieux, domaine où l’humanité traverse en ce moment les crises les plus profondes de son existence, le pape ne resta pas inactif ; mais, il ne fut pas une force de rassemblement et d’édification pour la communauté catholique particulièrement.
Certes, François a tenté de remédier à la sensible question de la pédophilie dans l’Église. Mais encore là les décisions et actions fortes ont manqué à sa stratégie ; en tous cas pour moi l’impact de sa démarche dans ce domaine-ci était faible.
Enfin, je retiens que sa politique confuse sur l’homosexualité a fragilisé l’Église catholique en prise dans une concurrence sans état d’âme avec les églises évangéliques.
En fait, il a autorisé les prêtes officiant à bénir les couples homosexuels tout en rappelant que selon la doctrine de l’Église toujours en vigueur est contre l’homosexualité et le mariage homosexuel : le seul mariage reconnu est celui hétérosexuel, c’est-à-dire, l’union entre un homme et une femme. Cette mesure avait provoqué des divergences d’opinions à travers le monde et surtout dans l’Église.
Refletinfo.net: Justement, qu’elle est votre lecture sur l’homosexualité, notamment le lien entre cette pratique et la question de religion ?
Dr Worondjilè Hien: Rires ! Il me sera difficile de répondre à cette question tout en restant neutre, c’est-à-dire sans faire recours à mes convictions philosophiques, morales et religieuses.
Mais tout d’abord, je pense qu’il n’y avait pas de raison d’associer officiellement la pratique de l’homosexualité à l’Église catholique. Dès les origines, la Bible, livre fondateur du christianisme, proscrit la pratique et la doctrine de l’Église catholique a entériné le commandement biblique en ne reconnaissant pas ni l’homosexualité ni le mariage homosexuel. En recommandant la bénédiction des couples gays, il commit une maladresse.
Ensuite, d’une manière générale les religions se présentent comme les défenseuses des pratiques qui respectent les lois naturelles ou les cultures (les transformations) qui sont utiles à l’humanité, bref elles recommandent le mode de vie qui honore Dieu le créateur et les lois de fonctionnement naturelles qu’il a définies.
Quand vous prenez le corps de l’être humain, le créateur à définit une ou des fonctions précises pour chaque composante, chaque organe.
Ensuite, les corps, les dons naturels, etc. de l’homme et de la femme sont faits pour se compléter dans la majorité des situations. En matière de relations intimes entre l’homme et la femme, les organes génitaux sont savamment conçus de sorte que l’un a besoin de l’autre.
Partant de cette réalité évidente, les religions ne doivent pas accompagner tous les désirs de l’homme au nom du droit, de la liberté ou de la démocratie.
Si tous les désirs de l’être humains étaient utiles et aboutissaient à des valeurs, on n’aurait pas eu des guerres mondiales, on ne serait pas arrivé à notre monde d’aujourd’hui où le plus petit nombre détient les richesses du monde au grand dam de milliards de personnes mourant de faim.
L’homosexualité est une déviance dont les homosexuels méritent l’interpellation des religions, surtout du christianisme et non un quelconque accompagnement, encore moins une bénédiction.
Refletinfo.net: Depuis le 7 mai 2025 à Rome, les cardinaux sont en conclave pour élire le nouveau dirigeant du Vatican, le pape. Quels sont les enjeux qui entourent cette élection papale ?
Dr Worondjilè Hien: Les cardinaux sont au nombre de 133 pour cette fois-ci. Les enjeux sont cruciaux. L’Église catholique a besoin d’un nouveau pape pour conduire la communauté catholique dans son apostolat multidimensionnel.
Et il faut préciser que les attentes sont grandes pour les catholiques qui attendent un remplaçant de Pierre qui puisse trouver les mesures qui les aideront à défier les difficultés existentielles.
Même le monde musulman, en particulier les musulmans du Moyen-Orient espèrent un pape qui aura les moyens d’influencer les puissances occidentales afin qu’elles exercent une pression sur Israël pour une éventuelle cessation de la guerre de Gaza. Mais, les enjeux ne sont pas uniquement religieux ou humanitaires ; les attentes diplomatiques sont fortes.
Au lendemain des obsèques du pape, on a vu la tension qui a caractérisé les échanges diplomatiques entre Emmanuelle Macron, le président français et la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni qui a accusé Macron de vouloir influencer l’élection d’un pape profrançais.
Et même dans les médias européens, on parle de pape européen. Les Africains espèrent un pape africain, tandis que les catholiques asiatiques n’attendent pas moins le choix d’un pape asiatique. Les grands blocs géopolitiques souhaitent ardemment un pape favorable à leurs lignes de politiques économiques mondiales, à leur propre lecture des grands sujets de liberté, des droits de l’homme, etc.
Le pape est devenu une sorte de législateur, une force de légitimation des grands changements moraux et culturels. Ce faisant, même les différentes couches socioculturelles attendent un pape qui, à défaut de les accompagner, ne les condamnera pas dans leurs convictions.
Refletinfo.net: Cette élection hautement secrète peut-elle être influencée par d’autres puissances ?
Dr Worondjilè Hien: Ce sont les élections proprement dites qui sont sécrètes. Les cardinaux, au moment de la maladie du pape François et deux semaines après son décès étaient parfaitement accessibles. Les grandes puissances avaient bien sûr commencé leurs manœuvres.
Des pays comme la Hongrie avaient depuis des années commencer la séduction de certains cardinaux des pays d’Afrique et d’Amérique à travers les ONG et les programmes d’aide humanitaires. À la suite du décès du pape, ils ne manqueront pas d’activer ces leviers longtemps préparés.
L’influence est bien possible. Le prochain pape aura un penchant pour un ou des blocs précis. Les grandes puissances en ont vivement besoin. Comme je l’ai dit le pape est une force de légitimation des grandes décisions et les courants diplomatiques en grande confrontation actuellement veulent son soutien précieux qui provoque généralement l’adhésion des autres catholique (plus d’un milliard et demi) à la cause pour laquelle il donne son accord.
D’ailleurs le pape est le président de l’État de Vatican ; le Vatican a besoin d’alliances diplomatiques pour faire accepter ses décisions, même si elles sont pour la plupart religieuses. Cela fait que son l’élection subit des influences comme toutes les élections du monde qui, en ce XXIe siècle, ne peuvent se dérouler en s’isolant complètement de l’actualité diplomatique.
Refletinfo.net: De nombreux Africains attendent que le choix des votants porte sur un Africain. Est-ce une ambition démesurée ?
Dr Worondjilè Hien: Non ! Il n’y a pas d’ambition démesurée. C’est le plein droit des catholiques africains. Ils forment un cinquième des catholiques (plus de deux cents millions de fidèles) du monde.
Ensuite, ce sont des cardinaux qui sont éligibles et parmi eux ont compte des Africains parfois plus expérimentés que d’autres. Seulement, personnellement je doute que le pape qui sera bientôt élu soit Africain.
Même si cette chance lui sourit, il ne sera probablement pas subsaharien. Les attentes diplomatiques sont énormes et l’influence des grandes puissances et Etats occidentaux est forte.
Ensuite, le complexe d’infériorité ou de supériorité, un héritage malheureux de la colonisation, est toujours présent dans les esprits, même dans le milieu religieux ou les communautés sont censées défendre l’égalité. Tous ces éléments réunis amincissent les chances d’un pape africain.