Burkina et religions: « …la clé doit rester la tolérance et l’acceptation de la différence », (Dr Worondjilè Hien)
Dr Worondjilè Hien, est un historien spécialisé en histoire des religions. Assistant au Département d’Histoire et Archéologie de l’Université Yembila Abdoulaye Toguyéni de Fada N’Gourma, ses travaux de recherche portent sur le rapport religion et développement. Dans cet entretien qu’il a accordé à Refletinfo.net, nous avons abordé entre autres, l’actualité nationale, les difficultés que connaissent les universités publiques, le rapport entre les religions pratiquées au Burkina et la crise sécuritaire, l’histoire commune qui lie les pays de la Confédération de l’AES.
Propos recueillis par Jean Marc Kambou, collaborateur
Refletinfo.net : Comment se porte Dr Worondjilè Hien ?
Dr Worondjilè Hien : Je me porte bien, Dieu merci !
Refletinfo.net : L’actualité oblige ! Le Président du Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré a renouvelé le gouvernement avec des départs majeurs tels le Premier ministre Me Apollinaire Kyélem, deux ministres d’Etat, Bassolma Bazié de la Fonction publique et Kassoum Coulibaly de la Défense et deux autres ministres. Quel commentaire faites-vous de ce changement ?
Dr Worondjilè Hien : En toute franchise les débats politiques ou les débats portant sur les opinions politiques me passionnent très peu. Je me méfie beaucoup. Tout de même, je vais commenter un tout petit peu, le changement de premier ministre.
Je pense que le nouveau choix de son excellence le Président du Faso, a été influencé par des préoccupations d’ordre communicationnel. Il veut mettre de l’ordre dans la façon dont sera désormais présentée la vision de son programme de société.
Il veut montrer sa disposition à travailler avec toutes les catégories socioprofessionnelles sans appréhension. Au fil du temps, on a découvert un premier ministre (celui sortant) ayant une bonne maîtrise de l’univers politique, mais dont l’adresse aux forces vives de la nation était truffée de lourdes erreurs de communication.
Ce qui provoquait plutôt le courroux des collaborateurs au lieu d’instaurer l’adhésion et la mobilisation de tous. Avec le premier nouveau ministre, le Président du Faso veut gouverner sans exclusion, sans accusation.
Refletinfo.net : Vous êtes enseignant chercheur en histoire spécialisé en religion et développement, pourquoi la jonction de ces deux notions ?
Dr Worondjilè Hien : L’enseignement comme la recherche doivent aider à construire l’Homme. En associant les deux, religion et développement, c’est pour le seul but que mes cours ou mes recherches sur les sujets religieux soient utiles à mon employeur, l’État et mes lecteurs avertis ou profanes.
L’histoire témoigne que les institutions religieuses ont été tantôt des cadres d’épanouissement tantôt un bloc de frein à des innovations importantes.
Les leçons qui découlent de ces fluctuations doivent être mises à la disposition des décideurs qui veulent les prendre en compte ainsi que des leaders religieux soucieux de l’épanouissement véritable des fidèles fréquentant leurs institutions.
Refletinfo.net : Le 1er trimestre de l’année université tend vers sa fin, comment l’avez-vous vécu en termes d’activités académiques ?
Dr Worondjilè Hien : À l’Université Yembila Abdoulaye Toguyéni, nous ne connaissons pas de retard, particulièrement en ce qui concerne l’UFR/SH-LAC. Nous exécutons normalement les cours programmés.
Quelques difficultés liées à l’insuffisance des amphis gênent néanmoins la programmation des cours, mais la patience des enseignants et des étudiants permet de trouver une solution en fin de compte.
Refletinfo.net : L’université de Fada N’Gourma a été baptisée en avril 2024 Université Yembila Abdoulaye Toguyéni. Que présente ce baptême pour vous ? Quel peut être son impact pour l’université ?
Dr Worondjilè Hien : C’est une fierté de travailler dans un établissement qui porte le nom de l’un des grands pionniers de l’enseignement supérieur au Burkina Faso.
En termes d’impact académique et professionnel positif, le nouveau nom de l’Université devient une source d’inspiration, un rappel constant à la quête du mérite. Cependant l’impact durable découlera de la politique qui associera ce grand nom.
Refletinfo.net : Y-a-il un lien entre les différentes religions pratiquées au Burkina Faso et la crise sécuritaire que vit le pays ? Si oui, quelle pourrait être la bonne formule pour une cohabitation entre les différentes confessions religieuses au Burkina Faso ?
Dr Worondjilè Hien : Oui, il y a un lien historique et théologique entre la crise sécuritaire et les pratiques religieuses. Seulement la sensibilité du sujet fait que je ne pense pas qu’il soit approprié de l’envisager à cette occasion.
Néanmoins, historiquement, la religion sert de voie de légitimation pour ceux qui perturbent notre sécurité et la conviction qu’ont les terroristes de détenir la vérité à imposer aux autres reste la démarche théologique qui les renforce dans leurs actions dangereuses.
Mais le véritablement facteur de l’émergence de l’insécurité réside dans les politiques de développement et de gouvernance passées. Malencontreusement, l’accent est souvent mis aujourd’hui à corriger rien que les torts économiques causés antérieurement au détriment des blessures culturelles et identitaires qui sont, à mon avis, les vrais germes de la crise en cours et de celles qui viendront si les causes justes ne sont pas traitées.
Quant à la cohabitation des confession religieuses au Burkina, la clé doit rester la tolérance et l’acceptation de la différence.
L’État burkinabè doit, à mon humble avis, construire un cadre juridique et politique transversal qui permet à chaque confession de se retrouver dans la gouvernance et pouvoir s’engager volontairement comme un partenaire de bonne foi pour la paix et surtout pour un développement durable.
Les politiques doivent éviter de faire une intrusion directe dans les débats théologico-religieux en appelant par exemple les confessions religieuses vers un œcuménisme.
L’action de l’État le plus utile de manière durable serait d’édifier une structure juridique d’expression libre pour chaque citoyen sans distinction de religion ; cette structure devrait être capable de convoquer les institutions religieuses au respect des textes officiels. Sinon la régulation par des coups de discours occasionnels crée des frustrations qui érodent les efforts de cohésion sociale.
Refletinfo.net : De nombreux intellectuels appellent de plus en plus au retour aux valeurs endogènes pour impulser le développement national. En quoi ces éléments historiques et religieux peuvent-ils aider à la conception de politique de développement efficace ?
Dr Worondjilè Hien : Oui, les sociétés africaines vivent de politique, d’économie et bien sûr de culture, de leur culture. Cette dernière demeure le cordon de l’équilibre et de l’harmonie sociopolitique, et le facteur de création des cadres appropriés pour la réalisation des autres aspects.
Or, si le développement c’est le fait de combler les besoins matériels, moraux et psychologiques d’un groupe de populations, il devrait le faire suivant l’environnement culturel des sociétés burkinabè.
Le modèle de développement conçu selon les normes des valeurs culturelles d’un groupe cible suscite l’adhésion de tous les membres, indépendamment de leur niveau d’instruction et de compétence.
En fait, chaque citoyen parvient à se représenter dans les projets et programmes de développement. Toutefois, il faut nécessairement admettre que la société burkinabè a subi bien de transformations brusques et brutales sur le plan culturel depuis la période de la traite négrière.
Le tableau culturel burkinabè est aujourd’hui bien différent de celui précolonial. Pour moi, la conception des programmes de développement ne doit plus, de nos jours, prôner un retour aux traditions.
Je dirais plutôt, les politiques et acteurs nationaux de développement doivent recourir aux valeurs traditionnelles profitables au succès des programmes.
Ensuite, l’honnêteté voudrait qu’on reconnaisse que toutes nos valeurs traditionnelles, prises à l’état, ne peuvent convenir au modèle de développement tel qu’il est imposé aux pays en développement par une mondialisation soutenue par la science et les nouvelles technologies.
Refletinfo.net : Au regard de la dynamique actuelle des autorités burkinabé, pensez-vous que les curricula de formation doivent être repensés pour mieux prendre en compte les réalités burkinabé ?
Dr Worondjilè Hien : Les curricula sont déjà repensés, plusieurs fois même. Seulement je pense que l’effort se situe au niveau du contenu pour le primaire, le post primaire et le secondaire.
La pédagogie pour enseigner ses réformes évolue peu ou est souvent choisie et imposée à la hâte. Les conséquences, on va se retrouver avec des jeunes burkinabé confus, sans passé et sans futur, culturellement.
Pour les écoliers et élèves, il faut des outils pédagogiques, des matériels didactiques qui permettent aux enseignants de représenter aux apprenants les contenus théoriques de ces nouveaux curricula.
Or, il n’en est rien du tout. Au niveau universitaire, je suis peu informé des changements en cours parce que je viens d’arriver. Cependant, ce que je remarque en histoire et archéologie, on veut former rien que des spécialistes de l’histoire africaine.
Les dispositions ne sont pas prises ou sont timidement prises en compte pour produire des spécialistes d’autres régions pour aider l’Afrique à aller coloniser le reste du monde. Rires.
Refletinfo.net : Le monde universitaire est confronté aux chevauchements d’années ; à votre avis, que faire ?
Dr Worondjilè Hien : C’est de rattraper les retards accusés. Et je crois que c’est le travail que le ministère à engager actuellement, toutefois avec des faiblesses. Néanmoins, mon statut de non titulaire ne me concède pas des droits d’examinateur.
Refletinfo.net : Qu’est-ce que le ministre a engagé comme travail allant dans le sens rattraper les retards ?
Dr Worondjilè Hien : Monsieur le Ministre a pu définir un large réaménagement de l’organigramme de l’année académique 2023-2024, dont l’élément phare reste la mobilisation du corps des enseignants et des étudiants pour faire des cours de rattrapage.
Ces cours se sont déroulés durant les mois d’août et de septembre, et concernaient les UFR et les filières qui accusaient un grand retard.
Des propos des services du ministère, des retards ont été résorbés à cent pour cent et d’autres à quatre-vingt pour cent.
Refletinfo.net : Le premier ministre Kyélem a accusé les enseignants chercheurs d’être amorphes en termes de propositions concrètes face aux défis sécuritaires et développement du pays. Quel est votre avis ?
Dr Worondjilè Hien : Non, pas du tout ! Le chercheur ou l’enseignant chercheur est un fin technicien qui produit une œuvre technique et spécialisée. Il n’est pas le politique.
Souvent, ses productions se présentent comme des réalisations brutes si le politique, c’est-à-dire le gouvernement, ne donne pas une orientation ou ne met pas en place une stratégie de valorisation des productions.
Pour qui veut comprendre, qu’il consulte l’histoire de la politique de recherche des États européens et américains pendant les deux guerres mondiales. Les recherches ont été strictement orientées.
Et même, à force de vouloir trouver des solutions rapides, les crimes les plus atroces furent commis. Le Burkina Faso fait face à sa guerre mondiale présentement ; c’est au gouvernement de distribuer des lignes et des orientations claires de recherche et leurs objectifs attendus aux universités, aux instituts et aux chercheurs.
Encore faut-il financer les projets de recherche définis pour ceux qui ont besoin d’argent liquide comme on le dit vulgairement et disposer des conditions techniques idoines de recherche, tels que les laboratoires, les bibliothèques et surtout rassurer les chercheurs et les enseignants chercheurs qu’ils ne sont pas une charge de trop.
Les chercheurs sont comme tous les autres citoyens burkinabè : ils ne décident pas de leur propre chef de la politique à suivre.
Par exemple, au sujet de la cohésion sociale qui intéresse les sciences humaines et sociales, des articles scientifiques et des ouvrages publiés par les chercheurs et les enseignants chercheurs dorment dans les étagères.
C’est au gouvernement de repérer ces productions et associer leurs auteurs dans les conférences ou journées de sensibilisation organisées.
Quand le gouvernement va en contact avec les autorités coutumières et les chefs religieux, en dehors des rares conseillers convoqués, combien de spécialistes en religions et culture, combien de socio-anthropologues, combien de philosophes de la pensée africaine sont associés pour convaincre les communautés rencontrées du bienfondé de la démarche ?
Les émissaires gouvernementaux sont des purs politiques qui vont souvent faire de la politique politicienne !
Refletinfo.net : Le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont regroupés autour de l’Alliance des États du Sahel (AES). Est-elle réellement une nouvelle alliance ou s’explique-t-elle historiquement ?
Dr Worondjilè Hien : Au vu du contexte géopolitique international et sous-régional agité par les anciens accords qui se défont pour se refaire autrement, c’est une nouvelle alliance qui préfigure une Afrique Nouvelle.
Toutefois, l’AES se fonde sur une aire socioculturelle, dont la mise en place remonte à la fondation de l’empire du Ghana et les différentes lignes commerciales nouées.
Refletinfo.net : Expliquez-nous succinctement, cette aire socioculturelle qui fonde l’AES avec des connexions sur l’empire du Ghana ?
Dr Worondjilè Hien : Juste un résumé !
Refletinfo.net : Allez-y Dr !
Dr Worondjilè Hien : Depuis la naissance de l’empire du Ghana le Sahel actuel constituait la plus grande partie de l’espace d’échanges commerciaux entre les peuples sahariens, sahéliens et ceux de la savane et même des États côtiers.
L’espace culturel créé par ce commerce aussi appelé le commerce transsaharien englobait déjà les États de l’actuel AES. Des modifications internes engendrées intermittemment par l’évolution des royaumes et la colonisation n’ont pas rompu totalement la communion sociohistorique et culturelle entre les peuples du Sahel.
Alors, la création de l’AES est la reconstitution d’une réalité historique, même s’il faut rappeler que des efforts antérieurs comme la création du Liptako-Gourma avaient fait des tentatives.
Refletinfo.net : Est-ce-que ce format de la confédération vous convient ?
Dr Worondjilè Hien : L’alliance me convient-elle ?
Refletinfo.net : C’est ce que nous voulons savoir !
Dr Worondjilè Hien : Il serait très prétentieux de rattacher une stratégie géopolitique à ma petite personne ! A priori, l’Alliance est une initiative encourageante, en ce sens qu’elle peut aboutir au rétablissement rapide de la paix dans les trois pays actuellement secoués par les attaques terroristes.
Elle demeure une autoroute d’un développement plus large pour les trois pays si ses fondements sont méticuleusement construits ; ses fondateurs doivent prendre le temps qu’il faut pour la construire.
Les autres alliances à travers le monde ont pris des décennies pour s’accorder sur les politiques économiques et de développement communes. Sans les copier, il faut que les dirigeant de l’AES s’en inspirent.
Refletinfo.net : Est-elle vraiment une opportunité pour le développement des trois pays ?
Dr Worondjilè Hien : Humblement, je suis de ceux qui pensent que l’AES est une voie de sauvetage face à la crise et aux défis sécuritaires. Le contexte difficile dans lequel s’est faite son édification est particulière.
Ses créateurs auront de nombreuses équations à résoudre pour le rendre viable et fiable, en un mot, pour en faire une opportunité de développement.
Si sa finalisation est réussie, ce sera du génie de la part de ses créateurs. Si l’AES échoue dans ses formes politique et géopolitique, les conséquences seront catastrophiques.